Article écrit par le Dr. Jean-Paul Mir
Découvrez une diversité de perspectives sur la réduction des risques en addictologie à travers les expériences et les voix d’un ancien usager, d’un infirmier addictologue et d’un médecin généraliste. Ensemble, ils éclairent les stratégies pratiques et éthiques pour mieux accompagner les personnes dans leur usage de substances, dans un cadre de santé publique responsable et inclusif.

Matériel de réduction des risques : un témoignage d’usager
Cela fait plusieurs fois que Kevin me demande du matériel pour les usagers de drogues (pipes à eau pour le crack et autres équipements). Je l’interroge sur l’usage qu’il en fait.
À ma question, Kevin a accepté de partager son expérience dans le cadre de notre exercice « Regards croisés » :
« Je vous ai demandé plusieurs fois du matériel, en particulier pour la consommation de freebase de cocaïne.
Dans mon entourage, sur le Barséquanais, j’ai côtoyé aussi bien des SDF que des chefs d’entreprise qui en consomment.
Je vous ai demandé des doseurs (pipes à eau) pour six personnes (deux ouvriers, deux SDF et deux personnes bien installées), car ils fumaient la cocaïne dans des bouteilles en plastique.
La plupart des personnes à qui je fournis ce matériel souhaitent rester anonymes, parfois parce qu’elles n’ont pas ou plus de permis de conduire. Pour moi, le matériel de réduction des risques est essentiel.

Les pharmacies fournissent des Steribox, ce qui est déjà une avancée. Un injecteur peut ainsi accéder plus facilement à du matériel de réduction des risques qu’un consommateur de freebase. Une alternative est de se rendre à l’ALT à Troyes ou de commander sur Internet, sur des sites comme SAFE.
Ce qui pourrait être amélioré ? Un accès plus large en pharmacie à divers équipements de RDR et, pourquoi pas, l’installation de distributeurs automatiques (comme ceux des préservatifs), près de l’ALT ou dans d’autres lieux accessibles aux consommateurs.
Concernant la naloxone, je n’ai jamais eu à intervenir avec. En revanche, les surdoses à la cocaïne se multiplient, car la cocaïne circule avec un taux de pureté toujours plus élevé. C’est un autre sujet… Peut-être pour une prochaine fois. »
Point de vue d’un infirmier addictologue du CARUD ALT-10
La mise à disposition de matériel de prévention des infections
L’accès au matériel de réduction des risques (RDR) doit être sans limite et sans condition. Les usagers relais du CARUD jouent un rôle essentiel, permettant de prévenir abcès, septicémies, endocardites, ainsi que la transmission de l’hépatite C (VHC) et du VIH. L’expérience de la RDR, développée durant l’épidémie du VIH, a prouvé son efficacité.
CARUD (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) quels missions ?
• Accueil collectif et individuel : information et conseils personnalisés aux usagers.
• « Aller-vers » : interventions en centres d’hébergement, maraudes, accompagnement de la Croix-Rouge, présence en Free Party, camping-car mobile.
• Lien entre usagers et structure : accès aux soins, découverte du CARUD, mise en contact avec des intervenants.
• Aide à l’hygiène et aux soins de première nécessité :(Mise à disposition de douches, Distribution de jetons pour la laverie, etc)
• Orientation vers le système de soins spécialisés et de droit commun : Accompagnement physique vers l’hôpital, social, vers les consultations (ALT, médico-social, infirmier, psychologue…).
• Soutien à l’accès aux droits, au logement et à l’insertion.
• Incitation au dépistage des infections transmissibles ( TROD,)
Pour l’équipe de professionnels :
• Suivi des usages et des substances : mieux comprendre les pratiques et la composition des produits, grâce aux retours d’expérience et aux analyses de substances.

Réduction des risques : un autre regard ! Point de vue d’un médecin généraliste
Principes de la Réduction des Risques
Plutôt que de stigmatiser les usagers dans une illusion d’éradication, la Réduction des Risques (RDR) est née dans les années 1980, en réponse à l’épidémie de VIH. Son efficacité s’est traduite par la quasi-disparition du VIH chez les injecteurs.
Les drogues existent : comment vivre avec et limiter les dommages ?
La RDR repose sur ce constat, en reconnaissant les usagers et en valorisant leur expertise. Elle propose des solutions concrètes pour réduire les risques et favoriser l’inclusion sociale.
L’approche s’appuie sur l’expérience des usagers et leur pouvoir d’agir, que ce soit sur leur propre santé ou leur environnement. L’accès au matériel de réduction des risques, au logement et aux tests de produits a un impact majeur sur la santé publique. Ces dispositifs aident les usagers à adapter leur comportement de manière autonome et responsable.
Apports pour les professionnels de santé
Ce changement de regard favorise l’intégration des savoirs des usagers, ce qui enrichit les pratiques des soignants.
Pour les professionnels de santé, cela représente :
• Une meilleure compréhension des usages et des besoins des usagers.
• Une transformation de la relation de soin, basée sur la confiance et la non-jugement.
• Une alternative aux situations d’échec face à des consommations persistantes.
• Une plus grande sérénité dans l’accompagnement des patients.
La Réduction des Risques est une approche légitime et efficace, autant que toute autre prise en charge médicale.
